Une fois n’est pas coutume, l’analyse du secteur bancaire sera faite cette fois-ci par un ancien banquier. J’ai le plaisir d’accueillir mon bon ami Bob Nzoimbengene, Partner chez Deloitte. Pour ceux qui ne le savent pas encore, Deloitte publie chaque année une étude très détaillée (pour la dernière étude, veuillez cliquer ici) sur la situation du secteur bancaire et il est toujours très intéressant pour les professionnels du secteur d’avoir une perspective extérieure.
Hervé OTSCHUDI : Alors Bob, comment se porte le secteur bancaire congolais ?
Bob David NZOIMBENGENE : Sur le plan purement de la performance vue à travers les indicateurs clés, j’estime que le secteur bancaire congolais se porte bien. Il continue à réaliser des performances très appréciables. Saviez-vous que le secteur bancaire congolais a réalisé une croissance de son résultat net après impôt de plus de 300% en douze ans ? Son résultat net est passé de 7 MUSD (en 2008 année marquée par l’implantation de plusieurs banques) à 28 MUSD (en 2019).
Le seul bémol est l’instabilité de ce résultat, qui a évolué en dents de scie durant les dix dernières années, au point d’atteindre même les résultats globaux négatifs en 2016 et 2017, pour remonter 66 MUSD en 2018.
Par contre, les autres indicateurs tels que la mobilisation des dépôts, la création de la monnaie et la création de la richesse (PNB) évoluent en augmentation chaque année. Ces indicateurs enregistrent des taux de croissance à deux chiffres presque chaque année.
Malgré ces résultats, nous pensons que le secteur bancaire congolais peut faire mieux que sa performance actuelle. En effet, suivant une étude scientifique réalisée, qui sera publiée très bientôt, le jour où nous parviendrons à réduire sensiblement le volume des transactions en espèces dans notre pays et par ricochet à atteindre un taux de bancarisation de plus 30%, la taille du secteur bancaire congolais et son résultat net vont quintupler.
Hervé OTSCHUDI : Quel a été l’impact de la COVID sur l’activité des banques congolaises ?
Bob David NZOIMBENGENE : Comme indiqué dans notre étude (Deloitte RDC) sur le secteur bancaire congolais, la crise sanitaire de la COVID 19 a impacté négativement le secteur bancaire congolais, qui a enregistré une baisse de ses commissions reçues notamment du fait de la réduction des dépenses de consommation et une chute des revenus d’intérêt du fait de la stagnation du tirage sur les lignes de crédit et de découvert (les activités étant en baisse) et de la réduction des transactions. Ce qui a comme conséquence la baisse du Produit Net Bancaire des acteurs. Aussi, nous avons noté une baisse de la qualité du portefeuille des banques, augmentant ainsi le niveau de provisions à constituer, malgré quelques mesures d’assouplissement du régulateur. Cependant, on a noté une appréciation du coefficient d’exploitation de certaines banques.
Hervé OTSCHUDI : Est-ce que, selon toi, les mesures prises par la BCC ont permis d’atténuer l’impact (négatif) de la pandémie sur l’activité bancaire ? Si oui, de quelle manière ?
Bob David NZOIMBENGENE : La Banque Centrale du Congo a réagi rapidement pour soutenir les banques établies en RDC, en prenant un certain nombre de mesures dont notamment la baisse du taux de la réserve obligatoire sur les dépôts à vue en monnaie nationale (de 2 à 0 %), le report, au mois de janvier 2022, de l’entrée en vigueur des dispositions relatives au relèvement du niveau du capital minimum des banques à l’équivalent en CDF de 50 MUSD, la non limitation du nombre de restructurations ou de rééchelonnements des créances tombées en souffrance durant la crise de COVID-19 et l’imposition aux banques de suspendre l’application des pénalités sur les créances en souffrance pendant crise.
A mon avis, toutes ces mesures n’ont pas d’impact significatif sur l’activité et la performance des banques. Néanmoins, elles ont un impact sur la conformité des banques à certaines instructions de la Banque Centrale du Congo.
Hervé OTSCHUDI : Certains changements règlementaires. Quels sont les changements qui auront un impact direct sur les clients (particuliers comme entreprises) des banques ? De quelle manière ?
Bob David NZOIMBENGENE : Nous pouvons répertorier ici deux changements importants :
- La non-limitation du nombre de restructurations ou de rééchelonnements des créances tombées en souffrance durant la crise de COVID-19 et l’imposition aux banques de suspendre l’application des pénalités sur les créances en souffrance pendant la crise constitue une vraie opportunité pour les clients en difficulté, de solliciter le rééchelonnement ou la restructuration de leurs crédits auprès de leurs banquiers. De la même manière, Ces clients vont bénéficier de la mesure relative à la non-application des pénalités de retard. Ce qui impacte positivement leur trésorerie et leur résultat financier de la période.
- Et le seconde est le rappel à l’ordre faite aux banques concernant le paiement de toute somme en francs congolais ou autre globalement égale ou supérieure à 10 000 dollars américains, qui ne peut pas être acquittée en espèces ou par titres au porteur. Malgré la dérogation prévue à l’instruction 15Bis de la BCC, les clients des banques devraient elles-mêmes veiller au respect strict de cette disposition. Car en cas d’inobservance, ils peuvent également être sanctionnés. D’où l’intérêt de limiter les transactions en espèces et de privilégier les transactions (paiements et recouvrements) via le circuit bancaire.
Hervé OTSCHUDI : Comme tu l’as dit précédemment, cette dernière mesure devrait donner un coup de fouet au secteur bancaire. En effet, fini (officiellement) les achats en cash de propriétés à plusieurs millions de dollars…
Merci Bob d’avoir pris le temps de répondre à mes questions qui, j’en suis sûr, auront permis à nos lecteurs d’avoir une meilleure compréhension de l’état du secteur bancaire dans notre pays.
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